Du 14 au18 mai 2022 les pêcheurs et habitants de la petite côte ont constaté l’apparition spectaculaire d’eaux colorées («marron orange») et de plus bioluminescentes la nuit. Le Centre de Recherche Océanographique de Dakar-Thiaroye (CRODT) de l’Institut Sénégalais de Recherches agricoles (ISRA/CRODT) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) à la Commission Sous Régional des Pêches (CSRP) ont, dès le premier jour de l’apparition de ce phénomène, reçu une alerte des enquêteurs de plage du CRODT.
Ces derniers avaient fraichement reçu une formation sur le suivi de la pollution marine (Baldé et al. 2022). De plus de nombreux témoignages des riverains de la petite côte et des amis de la mer ont afflué vers les agents du CRODT et de l’IRD. Tous les témoignages se recoupent et soulignent que ce phénomène est apparu brusquement sous la forme d’eaux «marron orange» à la surface de la mer en début de weekend le samedi 14 mai 2022.
Les chercheurs (ISRA/CRODT et IRD-CSRP) se sont rendus sur les lieux dès le premier jour de l’évènement (14/05/2022) et ont constaté que tout laissait penser à une microalgue, surement de la forme rouge de Noctiluca scintillans ; un bloom restreint ayant été récemment observé en Mauritanie par nos collègues de l’Institut Mauritanien de Recherches Océanographiques et des Pêches (IMROP). Dans les eaux mauritaniennes de 32°30 à 24° Nord (Elghrib et al., 2012), Noctiluca scintillans a déjà été observé, et même plus au Sud. Cette espèce a été collectée en 1957 et identifiée par Ramon (1961) vers 17° Nord au large de la Mauritanie, mais jamais encore décrite sous nos latitudes dans la littérature « examinées par des pairs », mis à part par Nieland (1982) qui observe de manière anecdotique le genre (sans aller à l’espèce) Noctiluca à l’état de trace dans le régime alimentaire des sardinelles Sénégalaises. Cette microalgue est pourtant connue au Sénégal, notamment observée en 2014 (non publié) au cours de la campagne océanographique AWA (N/O Thalassa, Ifremer) du projet du même nom. Dr Ismaïla Ndour (CRODT) et Dr Patrice Brehmer (IRD) l’avaient aussi observé en 2016 (projet JEAI LEAHAO) dans les bolongs de Toubacouta (non publié) où sa bioluminescence est connue des habitants et amuse les touristes, mais n’a jamais été formellement décrite (Harrison et al., 2011). Noctiluca scintillans est un dinoflagellé tout comme Ostreopsis ovata, une espèces de microalgue qui a sévit sur la presqu’ile des Almadies l’été dernier (2021) engendrant des symptômes sur la santé humaine (cf. Note politique de Brehmer et al. 2021). Une espèce de dinoflagellé est aussi le principal suspect dans la maladie dite des pêcheurs qui a sévit en 2020 et aussi en 2021 plus « modeste- ment » (investigations en cours de finalisation). Noctiluca scintillans n’est pas directement toxique pour les organismes marins puisqu’elle ne produit pas de toxine mais est cataloguée comme une espèce de microalgues nuisibles sur la base des mortalités de poissons observées dans des fermes piscicoles (Escalera et al., 2007). En fait, Noctiluca scintillans a un effet toxique indirect sur l’environnement marin par la production de niveaux élevés d’ammoniac et une diminution de l’oxygène dissous dans le cas de forte efflorescence (bloom algale) (Umani et al., 2004). La prolifération de diatomées (principale proie des Noctiluca scintillans) est essentiellement due à la présence élevée de nutriments (exemple: les nitrates et les phosphates) dans le milieu marin, caractéristique des zones d’eutrophisation mais aussi dans une moindre mesure d’upwelling. Les analyses sur ces considérations chimiques n’ont pas été réalisées par manque de moyens.
Dr Ndiaga Thiam, directeur du CRODT, et Dr Patrice Brehmer ont observé que les vidéos de Gandiole (Saint-Louis, Séné- gal) qui ont circulé et ont fait état de mortalité de poissons sur la plage (comme cela a été le cas d’une vidéo rendu virale sur les réseaux sociaux au cours du bloom (ou efflorescence) de mi-mai 2022), sont des vidéos antérieures au phénomène et sans lien avec la présente efflorescence. Au vu du contexte et de l’interrogation de la société civile sur ce phénomène, il est important de le préciser. Les chercheurs rappellent qu’il est im- portant de pouvoir dater et géoréférencer ce type de témoignage et au besoin d’informer les services compétents comme le CRODT de l’ISRA afin qu’ils puissent le cas échéant dépêcher des agents sur place. A ce jour aucune mortalité de poissons associée avec l’efflorescence de mi-mai 2022 n’a été constatée. Par ailleurs, les agents de ISRA/CRODT et IRD/CSRP, du 14 au 17 mai 2022 en pleine efflorescence, n’ont constaté aucune mortalité massive d’organisme marin sur les plages de Mbour, de la Somone, Ngaparou, Popenguine, Toubab Dialaw, et Ndayane.
Des échantillons de microalgues ont été prélevés le dimanche 15 mai 2022, ainsi que des observations sous-marines et même aériennes grâce à une approche participative citoyenne autour des chercheurs CRODT/IRD. Les premières analyses réalisées à l’ISRA par Dr Waly Ndiaye, Dr Patrice Brehmer et M. Nfally Sadio dans le laboratoire de biologie marine du CRODT n’ont pas permis de valider d’un point de vue taxonomique l’identification spécifique formulée le samedi 14 mai 2022. Les individus de Noctiluca scintillans, collectés sont arrivés en mauvais état au laboratoire (mortalité rapide ex-situ). De ce fait, une seconde mission a été effectuée le 17 mai 2022 à Ndayane. Les échantillons collectés ont permis l’identification taxonomique le soir même de la mission et la validation de notre hypothèse émise au début de l’évenement.
Ce travail remarquable a fait l’objet d’une note politique publiée dans le cadre du progeramme AWATOX